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Les affiches artistiques des Jeux de Paris 2024 (1/2)

Les Affiches artistiques Olympiade Culturelle exposées le long de la Seine

©Guillaume Bontemps / Ville de Paris

Elles feront bientôt partie de notre mémoire collective – et de la mémoire des Jeux ! Les 14 affiches de l’Olympiade Culturelle commandées dans le cadre de Paris 2024 mettent en lumière tout le talent des graphistes, peintres et illustrateurs qui ont répondu avec enthousiasme à l’appel à projet du Comité Olympique. Et vous, quelle sera votre affiche préférée ?

La première chose qui frappe le regard ? Voyons… est-ce d’abord l’éclat des couleurs ? L’énergie qui se dégage des compositions graphiques ? Non, la première impression, c’est la joyeuse diversité qui se dégage de ces affiches. Huit artistes, sept univers ! Et pas deux qui se ressemblent. A chacun, chacune, son parti-pris esthétique (fort), et surtout son interprétation personnelle, sensible, humaine, de ce que représente l’esprit olympique au vingt-et-unième siècle.

Huit artistes, donc, mais quatorze œuvres d’art. Toutes ont été conçues spécialement pour Paris 2024, chaque lauréat (ou équipe de lauréates, dans le cas du duo Elsa & Johanna) ayant eu pour mission de proposer deux affiches : une pour les Jeux Olympiques, l’autre pour les Jeux Paralympiques. Pour la première fois en effet, un seul et même Comité d’Organisation des Jeux Olympiques (COJO) organise, à Paris, les Jeux Olympiques et Paralympiques. À charge pour les créateurs d’affiches sélectionnés de célébrer, à travers leur travail graphique, cette volonté de rendre ces événements à portée planétaire inclusifs et accessibles.

On imagine l’émotion ressentie par les lauréats/lauréates de cet appel à projet unique en son genre : une chose pareille, ça n’arrive qu’une fois dans une vie ! Et la course fut longue. Règles du jeu, cahier des charges extrêmement précis, jury d’experts (10 personnes) à convaincre et séduire, d’abord avec une note d’intention, puis avec des esquisses. Le format des affiches à créer : 728 millimètres par 960 millimètres. Leur destination : de prestigieux espaces d’exposition dans la ville hôte (Paris), 6 à 8 mois avant les Jeux ; puis des expos itinérantes dans les territoires labellisés Terre de Jeux 2024 ; mais aussi une importante diffusion numérique, et même des déclinaisons à travers une gamme de produits dérivés. De l’art pour tous, donc ! Mais aussi de l’art porteur d’un puissant message, comme un écho artistique aux valeurs Olympiques (excellence, respect, amitié) et aux valeurs Paralympiques (courage, détermination, inspiration, égalité). 

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« On a été vraiment très heureuses d’apprendre qu’on avait été choisies dans le cadre de l’appel à projet », nous disent, à l’unisson, les deux plasticiennes Elsa & Johanna, dont le travail photographique à la fois subtil et décalé (comme suspendu dans le temps, avec toujours une pointe de douce nostalgie) est déjà bien connu des amateurs d’art contemporain. «On l’a pris comme une forme de reconnaissance de notre parcours, et aussi comme le signe que le jury voulait vraiment mettre l’art au cœur de la démarche », se réjouit Elsa. Et Johanna de compléter : « La commande était cadrée : produire une œuvre évoquant le sport et l’Olympisme. Parfait, ça nous plait ! Mais ce qui nous a encore davantage plu, c’est qu’on a senti qu’on pourrait proposer quelque chose de très personnel, quelque chose qui soit fidèle à notre univers, nous qui aimons fabriquer des mises en scène avec des personnages humains dans des espaces domestiques réels ou reconstituées. »

Le résultat ? Deux affiches très colorées qui saisissent des moments de célébration, non pas dans un stade, devant un public ou face aux médias, mais au contraire dans une forme d’intimité : quelque part en France, une petite fête est sur le point de démarrer, on devine qui sont les quelques convives attendus (la famille, des amis), et on mesure tout le chemin parcouru par les championnes qui vont être célébrées dans un instant. Pour l’une de leurs deux affiches, les deux gymnastes figurent d’ailleurs dans l’image, dans une photographie « vintage » qui dit les années d’efforts accomplis jusqu’à la consécration olympique. Sur la seconde affiche, celle pour les Jeux Paralympiques, même ambiance, et même envie de croquer à pleine dents dans ce gâteau de fête, mais aussi le signe (délicat) que l’athlète qu’on célèbre est porteur d’une prothèse. 

Deux images pleines d’humanité, de douceur acidulée et de clins d’œils amusants (oui, nous sommes bien en France !). Deux images parfaitement alignées sur les productions antérieures d’Elsa et Johanna, qui ont vu là l’occasion de « produire quelque chose d’engageant et de joyeux, un peu enfantin, tout en restant dans notre univers, une ambiance légèrement surréaliste. Le but ultime étant que ces images puissent parler à un grand nombre de gens, de la même manière que les JO s’adressent à un très grand nombre de gens. On a un peu tendance à l’oublier, mais derrière chaque sportif, il y a une famille et des amis, qui poussent, qui encouragent, qui rêvent. On voulait rendre compte de cette dimension universelle ».

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Subtil équilibre à trouver entre, d’un côté, l’esprit de la commande et le nécessaire cadrage – d’autant plus essentiel que ce corpus d’œuvres va s’inscrire dans la mémoire des Jeux de Paris –, et de l’autre côté, comme le souligne le duo de plasticiennes, l’aspiration de chaque artiste à apporter « sa touche », sa vision. Une forme de « liberté encadrée » que le peintre et plasticien Gilles Elie a mis à profit pour approfondir son travail – à la fois lumineux et assez radical – sur les lignes, les courbes, et plus largement la géométrie. « Moi aussi, j’ai accueilli la nouvelle de ma sélection avec joie, et en même temps comme la confirmation que mon approche assez particulière des espaces et des lieux pouvait susciter du désir ». Si vous ne connaissez pas les toiles d’une grande pureté structurelle de ce coloriste aguerri, longtemps adepte de photographie urbaine (« j’aime les interstices, les espaces qu’on ne voit pas au premier coup d’œil »), vous manquez quelque chose : Gilles Elie est un maître de l’ascèse, de la ligne droite, nette et tranchante, un amoureux du minimalisme ultra-efficace. « Dans mon travail, je pars toujours du rectangle. Tout doit s’inscrire à l’intérieur de cette forme, qui devient mon terrain de jeu. Un rectangle, puis une grille, et à l’intérieur de cet espace très défini, je vais commencer à créer ! »

Autre signe particulier : l’artiste passé par l’Ecole Nationale d’Art et Design de Limoges a toujours eu une passion pour les terrains de sport. Pour les gymnases. Pour les pistes d’athlétisme. Pour toutes ces structures où le design fonctionnel est omniprésent… mais finit par ne plus se voir. Or, sans terrain, sans couloirs de course ou de natation, sans lignes de départ et d’arrivée, sans surfaces de réparation, pas de compétition le Jour J ! «J’ai donc immédiatement pensé à concevoir mes affiches autour d’une idée simple : le terrain, le stade, le gymnase sont exactement les mêmes pour les compétitions entre personnes valides et celles pour les athlètes en situation de handicap. Même espace d’expression pour ces champions, même lieu pour vivre des émotions totalement folles, même ligne à franchir en premier si on se bat pour la médaille d’or ! ». 

Ce qui nous donne, dans un dialogue saisissant, deux affiches aux couleurs elles aussi inspirées par des matières et matériaux que tous les sportifs du monde connaissent, et qui font partie de notre imaginaire collectif. « J’ai choisi le bleu si distinctif des matelas de réception DIMA, qu’on voit dans tous les gymnases de la planète, et le rouge-ocre des pistes d’athlétisme en tartan, lui aussi universel ». Puis il a évolué à l’intérieur de ces rectangles verticaux aux couleurs affirmées. Y a disposé des lignes, des traits, des pointillés, des cercles, toute une grammaire de symboles peints que chacun pourra lire à sa façon. « Dans ce travail, je n’essaye pas d’être réaliste. Je laisse un espace de liberté à l’adulte ou à l’enfant qui sera face à mes affiches, pour que son propre imaginaire puisse rebondir sur ce que j’ai créé ». 

Toutes les affiches de l’Olympiade Culturelle sont titrées. Celles de Gilles Elie s’intitulent La ligne bleue - Breakdance (nouvelle discipline olympique aux JO 2024) et La ligne bleue - course en fauteuil. L’artiste s’explique sur ce second choix : « En plus d’avoir cette passion pour les lieux du sport, je m’intéresse aussi fortement à tout ce qui roule, les vélos par exemple. J’aime leur mécanique, le côté à la fois simple et sophistiqué. Et donc j’aime aussi les poussettes et les fauteuils roulants. J’ai travaillé plusieurs années à la librairie du Centre Pompidou, à Paris, et je vous assure que des poussettes et des fauteuils, j’en ai vu passé de toutes sortes !» En sachant cela, on ne regarde plus son œuvre sur fond rouge-ocre (rappelez-vous, le tartan) de la même façon. D’un coup, l’image s’anime, et on se surprend même à entendre la clameur du stade : l’athlète lancé à vive allure sur son fauteuil de compétition franchira-t-il la ligne en premier ? 

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Changement complet de registre dans le travail de l’artiste et dessinateur américain Adam Janes, dont l’univers est aussi foisonnant que celui de Gilles Elie est sobre et ordonné. L’un des deux artistes étrangers à avoir gagné son ticket pour l’aventure des affiches, le Californien s’intéresse moins à « l’instant décisif » (dans le cas du sport : le jour de la compétition) qu’à tout ce qui a précédé, des mois ou des années plus tôt. « Ce qui me passionne dans la vie, c’est le processus ! La chose qui est entrain d’advenir, qu’on en ait conscience ou pas. Ce fut le cas pour les deux affiches que je viens de livrer pour les Jeux, puisqu’elles ont commencé à exister dans ma tête bien avant de savoir que je participerais à l’appel à projet. Il y a trois ans, juste après un déménagement avec ma femme et mes enfants, j’avais disposé une immense nappe en papier sur la table de notre salle à manger. Je rêvais d’une œuvre collective et spontanée, et donc quiconque venait chez nous était invité à dessiner sur cette immense feuille. Mais comme c’était notre table pour les repas, des taches de sauce tomate et de confiture à la framboise ont commencé à côtoyer des dessins d’enfants, une tête de cheval ou un super héros, ou encore des croquis faits par ma femme pour fabriquer un meuble de rangement. Très vite, notre œuvre collective est devenue un joyeux maelström… »  

Adam Janes nous sent quelque peu circonspect : comment passe-t-on d’une sorte de jeu artistique dans sa cuisine, avec sa famille, ses enfants (et de la sauce tomate !), à une affiche officielle pour les Jeux 2024 ? Notre remarque l’amuse. « Mon idée est la suivante : les Jeux Olympiques, eux aussi, sont un processus. Le jour de la grande finale d’un sport est l’aboutissement, mais sans tout ce qui précède, sans tout le travail en coulisse, il n’y aurait pas de grande finale, et pas d’aboutissement… Les Jeux, c’est une aspiration, c’est un rêve ! » 

De ses expériences ludiques dans sa cuisine de Los Angeles, le dessinateur a donc gardé l’élan intuitif, de même que le mélange des matières (la sauce tomate en moins !) et des techniques. Sans oublier cette qualité qu’il recherche toujours lorsqu’il peint ou dessine : « il faut savoir suspendre le geste au bon moment. Savoir trouver l’instant où l’on va décider que l’inachevé est plus intéressant que l’achevé… »Sa façon à lui de souligner que le processus est plus important que le « produit » final. Comme un écho au célèbre « l’important, c’est de participer » d’un certain Pierre de Coubertin ?

Voilà pour l’esprit dans lequel nos trois premiers artistes ont travaillé sur leurs affiches respectives – et dans une suite à cet article (une partie 2, publiée prochainement), nous converserons avec les quatre autres lauréats et lauréates : Fanny MichaëlisClotilde JimenezPierre Seinturier et Stéphanie Lacombe.

Mais avant de quitter Elsa & Johanna, Gilles Elie et Adam Janes, nous souhaitons leur poser une dernière question : ont-ils eux-même pratiqué un (ou plusieurs) sport(s), et si oui, ce passé a-t-il joué un rôle dans la construction de leur imaginaire artistique ?

Dans le duo de plasticiennes, c’est sans doute Johanna qui a eu la pratique la plus poussée, avec dix ans de gymnastique aux agrées. Elle y a beaucoup repensé au moment de créer les affiches, « avec un brin de nostalgie, quelque chose lié à l’enfance, quand on est fière que nos parents viennent nous voir, dans le gymnase, avec notre justaucorps, nos copines, notre entraineur… Et se présenter face à un public, ça n’est pas rien, c’est marquant. Ce sont des moments qui nous valorisent. » Elsa, elle, a essayé plein de sports, escalade, athlétisme, judo, sans vraiment y trouver son compte. « Par contre, j’ai fait de la danse, et j’adorais le côté spectacle : participer à une représentation, c’est joyeux, c’est fort. »

L’artiste américain Adam Janes a quant à lui grandi dans la région de Seattle, et son sport d’élection fut le snowboard, pratiqué à haute dose. A l’époque, il n’avait pas idée qu’un jour, son sport de glisse préféré figurerait au programme des Jeux d’Hiver (ce fut le cas à partir de 1998, au Japon). Par contre, il se souvient très bien du lien puissant entre l’équipe nationale américaine de basket, la fameuse « dream team », et les grands rendez-vous olympiques, que les meilleurs joueurs de la planète n’auraient raté pour rien au monde. « Adolescent, j’avais les affiches de Michael Jordan sur les murs de ma chambre. Ses performances d’athlète hors normes, mais aussi toute l’imagerie liée au basket m’ont profondément marqué, y compris comme artiste ».

C’est un tout autre monde graphique qui a eu un effet majeur sur la psyché de l’artiste Gilles Elie : celui du génial designer allemand Otl Aicher (1922-1991). Si ce nom ne vous dit rien, tapez, dans votre moteur de recherches : « pictogrammes des Jeux de Munich 1972 »… Extraordinaire, non ? « Otl Aicher, à mon sens, a signé les plus beaux pictos de toute l’histoire olympique. Impossible de faire mieux. Impossible de faire plus simple, plus intelligent, plus marquant !», insiste Gilles, qui a lui-même longtemps pratiqué le hand-ball, l’un des sports dont le pictogramme pour Munich 72 est le plus mémorable. « Et ce picto pour l’escrime, avec la flexion du genou, il n’est pas complètement dingue ? », ajoute l’artiste-peintre, avant de partager avec nous sa tendresse pour la mascotte de la même Olympiade 72, cet improbable teckel vert et bleu nommé Waldi ! « Les Allemands avaient fait le choix de couleurs douces, presque enfantines, on était vraiment dans les années 70, et c’est graphiquement très réussi. » C’est aussi très sobre, avec des lignes claires qui reposent les yeux. Un beau geste d’art universel, net et précis. Pas étonnant que ça lui plaise autant…