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La Culture au cœur des Jeux depuis toujours

Un visuel qui regroupe les différents logos de l'Olympiade Culturelle

©Beatriz Garcia

L’Olympiade Culturelle des Jeux 2024 s’inscrit dans une longue histoire de rapprochements et d’échanges entre l’Olympisme et les Arts. Tout est parti d’une idée de Pierre de Coubertin : en 1904, le Président du comité international olympique proposa d’associer des disciplines artistiques comme la danse, la musique et la sculpture aux grandes épreuves sportives. Pendant la première moitié du 20ème siècle, des médailles étaient même décernées aux meilleurs artistes et créateurs ! Retour sur plus d’un siècle d’aventures en commun.

Il fut un temps où le croquet, le tir à la corde et le jeu de paume figuraient au menu des sports en compétition pendant les Jeux Olympiques d’été. Mais intégrer de nouvelles disciplines (en 2024, à Paris, le breaking va rejoindre le surf, le skateboard et l’escalade déjà conviés à Tokyo en 2021) implique de devoir reléguer au rayon « souvenirs » certaines disciplines sportives. Exit le croquet (en 1900), le jeu de paume (en 1908) et le tir à la corde (en 1920). Ainsi s’écrit l’histoire bien vivante des Jeux : en se réinventant sans cesse. Et en faisant corps avec son temps.

On le sait moins, mais dans sa recherche permanente de mise en lumière des compétences humaines, le mouvement olympique a aussi fait la part belle à plusieurs disciplines artistiques. Et pas des moindres ! L’architecture. La peinture. La musique. La sculpture. Et la littérature ! Entre 1912 et 1948, des médailles étaient même décernées pour des œuvres ayant un lien avec le sport, dans chacune de ces cinq disciplines artistiques. Qu’on se représente un peu la scène ! Jeux Olympiques de Los Angeles, 1932 : « Et la médaille d’or de peinture est décernée à… Monsieur David Wallin, représentant de la Suède ! »

1906 : UNE DECISION HISTORIQUE

Culture et sport ont donc toujours avancé main dans la main. Tout est parti d’une idée de Pierre de Coubertin, dont il est inutile de rappeler ici l’amour des valeurs universalistes, et la généreuse imagination. En 1904, n’ayant décidément peur de rien, celui qui était Président du comité international olympique depuis 1896 profita d’une réunion de travail, à Paris, pour partager sa dernière intuition : les arts et le sport ont tant de choses en commun, tant de valeurs à partager, qu’il serait bon de les faire dialoguer, tous les quatre ans, lors des Olympiades. « Choisissons de grandes disciplines artistiques, sélectionnons des artistes du monde entier, et demandons-leur de célébrer, à travers leurs œuvres, le sport et les sportifs ! » 

Deux ans plus tard (1906) est organisée une « conférence consultative sur les arts, les lettres et les sports » : les cinq membres du CIO et les artistes qui y sont auditionnés approuvent à l’unanimité le principe d’intégrer plusieurs champs artistiques « au même titre que les compétitions sportives », à la stricte condition que les sujets choisis par les artistes sélectionnés soient « inspirés par l'idée du sport ou directement liés aux questions sportives. » 

C’est lors des Jeux Olympiques de 1912, à Stockholm, en Suède, que les premiers créateurs d’œuvres artistiques s’affrontent en compétition, mais ils ne sont encore que 35. En 1920, aux Jeux d’Anvers (Belgique), les concours d’art demeurent à nouveau assez modestes. Mais tout change à Paris, en 1924, où un souffle nouveau semble porter les artistes : ils seront près de 200 à s’inscrire et à s’affronter dans l’espoir de remporter une prestigieuse médaille olympique ! Paris, les années 1920, la culture et la fête au cœur des vies : les planètes sont parfaitement alignées. Et cette fois, la longue histoire d’amour entre les Jeux et la Culture est bel et bien lancée.

DE LOS ANGELES (1932) À MEXICO (1968), LES ARTS EN MAJESTÉ !

Après le succès des disciplines artistiques à Paris, en 1924, ce sont les Jeux de Los Angeles, en 1932, qui vont frapper très fort ! Un nombre record de pays (31) et d’artistes invités (des centaines) rivalisent de créativité, en dessin, en peinture, en danse, en musique, en textes et en poèmes : une joyeuse parade esthétique qui trouve son apogée entre les murs imposants du Los Angeles Museum, où 384 000 visiteurs vont se presser pour admirer 1100 œuvres conçues spécialement pour célébrer les Jeux. Un triomphe… Quatre ans plus tard, en 1936 – et bien sûr dans un tout autre contexte historique et politique –, les Jeux de Berlin vont eux aussi marquer les esprits, et se servir des arts pour adresser des messages au reste du monde. On pense notamment au film Les dieux du stade de Leni Riefenstahl (une artiste et réalisatrice proche du régime nazi arrivé au pouvoir en 1933), à la fois œuvre de cinéma innovante et exercice de propagande glaçant.

Après la Seconde Guerre mondiale, crise économique oblige, le succès des concours d'art commence à décliner. À Londres en 1948, ils suscitent peu d’intérêt, et des voix s’élèvent pour protester contre la participation d’artistes confirmés, voire célèbres, donc « non amateurs. » En 1952, le comité d’organisation des Jeux d’Helsinki décide de ne pas inclure les concours artistiques dans le programme. C’est la fin d’une époque.

Mais le retrait des compétitions d'art du programme des Jeux Olympiques ne signifie pas que l'intérêt du mouvement olympique pour la culture s'amoindrit. À partir de 1954, et jusqu’en 1990, le CIO demande à chaque comité d’organisation national de plancher sur un programme de manifestations et d’expositions à présenter pendant les Jeux : sculpture, architecture, littérature, musique, peinture, photographie, mais aussi philatélie – le tout en lien avec le sport et ses représentations. Ce programme dédié doit se dérouler en même temps que les épreuves sportives, et dans le même environnement, de manière à favoriser la déambulation naturelle d’un public qui pensait peut-être assister à un match de football, mais se retrouve joyeusement confronté à une exposition de peintures et de sculptures. 

Le programme culturel le plus abouti ? Celui des Jeux de Mexico, en 1968, où la richesse des programmations va marquer les esprits, avec notamment un important festival des arts de la scène, allant de l'opéra au jazz, un festival de peinture pour enfants présentant des œuvres de 47 pays, ou encore un rassemblement mondial de folklore attirant 30 groupes étrangers et un nombre presque équivalent provenant de différentes régions du Mexique. Soudain, se retrouvent au même endroit, au même moment, des arts et des cultures qui ne s’étaient encore jamais rencontrées ! La preuve que le sport peut faire des miracles, bien au-delà de son périmètre naturel, jusqu’à la sphère sociale.

1992 : LE TERME D’OLYMPIADE CULTURELLE FERA DÉSORMAIS RÉFÉRENCE

L’art et le sport (et la manière dont ces deux mondes aiment se rencontrer et s’enrichir), c’est précisément la grande passion d’une universitaire espagnole installée dans le nord-ouest de l’Angleterre (elle est enseignante-chercheuse à l’Université de Liverpool), Beatriz Garcia. « J’étais encore très jeune lorsqu’ont eu lieu les Jeux de Barcelone en 1992, mais ils m’ont marquée à jamais ! J’ai été éblouie par l’impact des Jeux sur notre ville, par l’effervescence dans les rues, par la façon dont toute la ville vibrait à l’unisson ! Et pour la première fois, notre ville, qui avait plutôt tendance à tourner le dos à la mer, s’est à nouveau intéressée à son littoral et à son port, grâce à des aménagements et un urbanisme qui l’ont durablement transformée. Un élan comme les JO permet ce genre d’accélération salutaire, ils peuvent vraiment changer une ville et la façon dont ses habitants se l’approprient et y vivent toutes sortes d’expériences, sur le long terme ».

Depuis cette première expérience « à la maison », Beatriz Garcia est devenue une observatrice attentive de la manière dont la culture, notamment lors de grands événements festifs, peut aider à redessiner les villes, et à créer du lien entre les habitants et les différentes formes de culture que ces événements permettent de mettre en lumière. En 2000, elle part en Australie pour les Jeux de Sydney, et y est à nouveau frappée par l’effervescence culturelle entourant les compétitions sportives. « Dans son programme culturel, explique Beatriz Garcia, Sydney avait décidé de mettre le paquet sur les questions de diversité et les représentations des minorités. Par exemple en organisant un grand festival avec une forte représentation des arts aborigènes, quelque chose qui a permis de changer le regard de tous les Australiens sur cette culture qui est d’une grande richesse, et va bien plus loin que le didgeridoo… Beaucoup d’observateurs estiment d’ailleurs que pour la reconnaissance de cette culture, il y a eu un avant JO et un après JO. Antérieurement, cette culture était gentiment rangée à la rubrique patrimoine. Avec les Jeux, elle est devenue vivante, intense, reconnue. Sydney, c’est l’exemple parfait de ce que peut permettre une Olympiade : le démarrage d’une conversation durable, d’un dialogue qui a vocation à perdurer. » Un dialogue entre le sport et les arts, mais aussi entre une ville, une région, un pays, et tous ceux qui le peuplent, l’enrichissent de leurs parcours, de leurs origines, et de leurs aspirations profondes.

L’EXEMPLE DE LONDRES 2012

Si les festivités présentées pendant les Jeux d’été de Sydney (2000) ont été aussi riches, c’est sans doute que depuis 1992, c’est sous l’intitulé d’Olympiade Culturelle que se construit le programme artistique qui accompagne et enrichit l’événement sportif. Un véritable changement d’approche et d’ambition, puisqu’il s’agit dorénavant, non plus seulement d’écrire un programme égrainé le temps d’un été, mais de construire un récit sur le temps long : pendant les années qui séparent deux éditions des Jeux. « Après tout, commente Beatriz Garcia, pour les sportifs de haut niveau, les Jeux commencent bien des années avant le jour J : ils s’entraînent dur, ils se préparent physiquement, mais aussi mentalement. Alors pourquoi ne pas avoir la même approche en matière de culture ? Et lancer la grande conversation entre une ville (ou un pays) et ses habitants lors des deux ou trois années qui précèdent les Jeux ? Qui sommes-nous ? Que voulons-nous raconter de notre vie, de nos cultures, de nos réalités ? Quelle image souhaitons-nous partager avec le reste de la planète ? Désormais, c’est cela, la philosophie de l’Olympiade Culturelle : c’est un long moment d’échange, favorisé et stimulé par le travail et l’imaginaire des artistes, à destination du grand public et du monde tout entier. Une invitation à faire connaissance. Le sport favorise la rencontre. Mais la culture apporte une dimension supplémentaire, une profondeur d’âme. »

Pour les Jeux de Londres en 2012, Beatriz Garcia était à nouveau aux premières loges (à la fois à titre professionnel et comme spectatrice), ravie de voir émerger les lignes de forces du projet imaginé dans le cadre de l’Olympiade Culturelle. Cette année-là, pour des raisons propres au financement (en grande partie privé) de la culture en Grande-Bretagne, le budget alloué à la programmation atteint des sommets (et il ne sera d’ailleurs plus jamais atteint). « L’organisation bénéficiait en effet de fonds très importants, ce qui a permis de développer plusieurs axes : d’abord l’idée que l’élan des Jeux devait profiter à toute la Grande-Bretagne, et pas seulement à Londres. Donc beaucoup d’événements ont été montés dans les régions du Nord, mais aussi en Ecosse, en Irlande, au Pays de Galles… Les Jeux sont une « plateforme », un outil de promotion, et chaque région avait à cœur de se montrer. Ensuite, les Anglais ont mis le paquet sur le lien avec les Jeux Paralympiques, complètement intégrés à l’élan collectif. Troisième axe important : la jeunesse. Les enfants et les adolescents ont été considérés comme de véritables acteurs des Jeux, et pas seulement comme des spectateurs. Ils ont été impliqués dans la programmation de concerts, de spectacles… L’ensemble se voulait vraiment inclusif, et au final, c’était très réussi. »

LA SPECIFICITE ET LES ESPOIRS DE PARIS 2024

On l’a vu : la déjà longue histoire qui lie l’olympisme et la culture n’en finit pas de se réinventer. Depuis plus d’un siècle, ces deux mondes se regardent et conversent avec une grande part d’admiration, et des valeurs en commun : la recherche du beau, de la perfection parfois ; la volonté de marquer les esprits, de laisser une trace. Chaque monde éclaire l’autre, les imaginaires se croisent, des liens et des échos s’inventent. Le tout sous la bannière de l’universalisme, une valeur qui peut sembler évidente, mais n’en est pas moins menacée dans nos temps agités… Quelle sera la trace, justement, laissée par les Jeux de Paris 2024 et leur Olympiade Culturelle sur les générations futures ? Depuis son bureau de l’Université de Liverpool, notre spécialiste Beatriz Garcia – qui n’ignore pas que le contexte sécuritaire ne simplifiera pas les choses – adresse un message de sérénité aux équipes artistiques en charge de la programmation française. « Tout d’abord, il faut savoir qu’il n’y a pas de formule toute faite, pas de « boite à outils ». C’est à chaque pays, chaque ville olympique, de trouver sa formule. L’équipe de l’Olympiade Culturelle 2024 travaille avec un budget très inférieur à celui de Londres, mais de toute façon, personne n’a envie de comparer, car chaque Olympiade est unique. À titre personnel, je suis curieuse de voir comment les liens entre Paris et le reste du territoire vont être soulignés, et je m’attends aussi à de belles idées et performances dans des espaces publics parfois inattendus. La France est un grand pays de culture et d’imagination, et bénéficie d’un réseau sans pareil. Alors j’ai hâte de voir quelle image Paris et la France vont souhaiter donner d’elles-même ! C’est très excitant ». 

Cela va se jouer pendant les milliers d’événements labellisés Olympiade Culturelle, sur tout le territoire national, mais aussi, bien sûr, lors des cérémonies d’ouverture et de clôture, qui ont leur propre programmation. « En vérité », conclut Beatriz Garcia,« tout converge, et tout participe à la construction d’une image, et plus tard de nos souvenirs collectifs. Cela commence avec la mascotte, qui figure partout, sur les billets, sur les objets du merchandising, et cela va se poursuivre avec ces deux cérémonies regardées dans le monde entier, mais aussi à travers des affiches d’artistes, de la musique, de la danse, des créations, des spectacles, des fêtes un peu partout. Une Olympiade Culturelle, c’est vraiment une aventure qui s’écrit collectivement. »