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Mode et sport : deux univers qui s’enrichissent l’un l’autre ! 

Des modèles posent avec des maillots de bain datés de 1971

©Peter Knapp

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Mode et sport, d’un podium à l’autre
Au Musée des Arts Décoratifs (75001) jusqu’au 7 avril 2024.
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La mode en mouvement 
Au Palais Galliera (75016).  L'exposition fera l'objet de trois accrochages successifs, au cours desquels la sélection de 200 pièces exposées sera entièrement renouvelée – coup de sifflet final le 7 septembre 2025.
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L’Olympiade Culturelle, ce sont des centaines d’événements (spectacles, performances, rencontres) partout en France, mais aussi des expositions à Paris et en régions.  Sur la même thématique passionnante – les influences croisées du sport et de la mode, deux mondes qui n’en finissent plus de s’interpénétrer–, le musée Galliera et celui des Arts Décoratifs, à Paris, proposent des parcours complémentaires où vêtements et accessoires, publicités anciennes et récits historiques se disputent la vedette. Laquelle des deux expositions est-elle la plus réussie ? Les deux. 

Qui, en 2023, s’aventurerait encore à dire que sport et élégance sont irréconciliables ? Que les univers de la performance sportive et de la mode avancent sur des chemins parallèles, sans jamais se croiser ? Deux belles expos parisiennes mettent en lumière précisément l’inverse, et mieux encore : nous racontent, à travers des sélections de costumes et d’accessoires, d’affiches publicitaires, de gravures et de photographies de mode, le rapprochement toujours plus fécond entre ces deux mondes.

1 – Au Musée des Arts Décoratifs : tout comprendre du dessin du vêtement, des coupes, des matières…

Au Musée des Arts Décoratifs (rue de Rivoli, à Paris), l’exposition « Mode et sport, d’un podium à l’autre » déroule son récit en suivant un parcours chronologique axé sur l’évolution du vêtement de sport en fonction des besoins des athlètes, des progrès technologiques et des codes de chaque époque. De la selle d’équitation à la selle du vélo, du jeu de paume au football en passant par le golf, les illustrations de ces améliorations souvent empiriques sont nombreuses, et tirent le même fil logique : la performance doit prévaloir, mais le confort et le dessin du vêtement sont peu à peu ajoutés aux exigences des athlètes en tous genres.

Dès le début du parcours, on comprend que le 19ème siècle aura marqué un tournant historique avec l'arrivée du naturalisme et de la pensée hygiéniste, laquelle recommande l'exercice et les bains de mer afin de garder la forme… sans toutefois montrer ses formes. L'invention du vélo va également contribuer à démocratiser la pratique sportive, jusqu’alors réservée à une certaine élite masculine, et sa pratique va permettre aux femmes de raccourcir leurs jupes, voire de s'essayer aux jupes-culottes – quitte à faire grincer quelques dents. Les maisons de coutures commencent à créer des modèles pour les athlètes, à l'instar de Jean Patou, qui imagine en 1919 une tenue plissée particulièrement courte pour la championne de tennis Suzanne Lenglen (qui domina son sport de 1921 à 1926).

Les années 1920-1930 voient naître le concept du sportswear, un style décontracté permettant une plus grande amplitude des mouvements du corps. De nouvelles matières apparaissent, plus « respirantes », comme celle inventée par le bonnetier André Gillier pour René Lacoste : l'indémodable chemise Lacoste est née – et à sa façon, elle est révolutionnaire. Et nul besoin d’être un champion de la raquette pour l’adopter… Gabrielle Chanel et la maison Lanvin prisent davantage le jersey pour concevoir des tenues sportives confortables tout en veillant à préserver une allure impeccable. Les années folles riment aussi avec un certain goût pour la vitesse, porté par le développement de l'automobile : les sports mécaniques nécessitent leur propres accessoires, lunettes de protection, couvre-chefs et autres masques de protection parfois assez cocasses. En les découvrant à travers les vitrines des Arts Déco, on a le sentiment de voyager dans le temps – un peu comme devant un épisode de la première saison de Downton Abbey. Impression renforcée lorsqu’on prend le temps de découvrir les très nombreuses gravures, pages de magazines et publicités anciennes qui font la spécificité documentaire remarquable de « Mode et sport, d’un podium à l’autre ».

Dans la seconde partie du siècle, les tenues de sport (ou issues du monde du sport) vont progressivement se faire une place dans nos armoires et nos tiroirs. Qu’on songe par exemple, à partir des années 1970, aux pullovers colorés et anoraks popularisés par les sports d’hiver. De la même façon, à partir des années 1980, il n'est plus nécessaire de se rendre dans un gymnase ou un stade pour enfiler son jogging ou une paire de baskets. Ainsi le superbe survêtement Terrinda issu de la collaboration entre le champion de tennis suédois Björn Borg et la marque FILA devient-il l'accessoire préféré de George Michael pendant la tournée de son groupe WHAM… Peu à peu, le sport imprime son style, et des créateurs de haute-couture s’emparent de ses codes visuels pour inventer de nouvelles silhouettes : pour les Jeux Olympiques d’hiver de 1992, à Albertville en Savoie, Surya Bonaly porte une tenue signée Christian Lacroix.

2 – Au musée de la Mode (Galliera), un fascinant comparatif entre la tenue de sport et le vêtement de mode, décennie par décennie…

Récit chronologique similaire du côté du Palais Galliera, mais avec une idée de mise en scène très complémentaire de l’approche des Arts Déco : ici, pour chaque décennie illustrée (du 18ème siècle à nos jours), deux vitrines se font face. La première expose des vêtements destinés à la pratique sportive ; la seconde, la garde-robe du quotidien. Et le résultat est frappant : à mesure qu’on avance vers le 21ème siècle, les codes visuels, les coupes, les matières et les couleurs sont de plus en plus proches d’une vitrine à l’autre. Autrement dit, plus le temps a passé, et plus la distinction entre les deux univers s’est estompée. 

L’équipe du musée de la Mode a profité de cette double thématique (que portions-nous pour faire de l’exercice, et que portions-nous dans un cadre de représentation sociale classique ?) pour exposer des pièces de mode extraordinaires, comme les nombreux accessoires, couvre-chefs et autres tenues « tout terrain » ayant appartenu à la princesse Cécile Murat (née en 1867). En aristocrate passionnée par la pratique sportive, elle jouait au tennis, au golf, et bien sûr montait à cheval. Activités qui furent longtemps l’apanage des femmes de l'aristocratie et de la haute-bourgeoisie.

C’est dans ce vestiaire féminin que les progrès sont les plus nécessaires, et les plus évidents. Et même si les vêtements de sport du parcours attirent le regard, ce sont surtout ces marqueurs esthétiques que sont les vêtements « chics » qu’on passe de longues minutes à observer. Vers la fin de Belle époque, des créateurs comme Paul Poiret travaillent (enfin !) à libérer le corps des femmes : adieu corsets, gaines et armatures. Poiret dessine une robe fourreau à taille haute qui remplace ces objets de torture. Elle n’est pas destinée à la pratique sportive, mais sa création a été accélérée par l’émancipation des femmes à travers ce qu’elles montrent d’elles-mêmes, hors du foyer et des dîners en ville. Ce sera encore plus vrai dans un tout autre contexte, pendant les heures sombres de la Première Guerre mondiale, qui vont les voir reprendre et occuper les tâches des hommes partis au front. Or pour y parvenir, il leur faut des tenues plus simples et plus courtes. 

Les années folles, à travers des créateurs comme Patou, Poiret, Chanel et les sœurs Callot, renforcent ce mouvement d’émancipation, en tout cas pour les femmes plus privilégiées socialement : tenues androgynes et sobres le jour, exubérantes et luxuriantes le soir venu… Les années 1940, marquées pas les restrictions et la vie sous l'occupation allemande, contraignent les couturiers à s'adapter en utilisant des tissus composés de fibres artificielles comme la rayonne et la fibranne. Jupes au genou, épaules carrées et taille marquée caractérisent la silhouette des femmes jusqu'à la Libération. En 1947, Christian Dior, pressé de faire à nouveau rêver les yeux des femmes (et des hommes), invente le New-Look : des tenues ultra féminines aux épaules arrondies, avec une taille très marquée et des robes pourtant volumineuses. Nouveau changement radical à l’entrée dans les années 1950, avec le développement d'un prêt-à-porter inspiré du sportswear américain, tel le blouson serré ou le vêtement confortable en maille. 

Les années 60, comme une réaction à la réaction, viendront à nouveau libérer le corps, facilitant les mouvements d'une jeunesse revendiquant plus de liberté. Les combinaisons en jersey de la maison Courrège ou la minijupe de la britannique Mary Quant caractérisent cette époque annonciatrice de la révolution sexuelle des années 70… La génération suivante, celle des créateurs des années 80, plus exubérants et provocateurs, répondra de manière spectaculaire aux crises économiques et à l'arrivée du sida. Les pièces en agneau plongé de Thierry Mugler ou Claude Montana sont structurées et fluides, mettant en valeur un corps athlétique façonné par l'aérobic, pratique ultrapopulaire qui influence de manière indéniable l'esthétique de cette décennie. 

L'exposition nous transporte jusqu’au siècle qui est le nôtre, largement dominé par la recherche du confort – le vêtement de sport étant devenu une sorte de réponse idéale à ce besoin universel –, mais aussi par l'uniformisation des goûts, liée au développement des réseaux sociaux. Les collaborations entre équipementiers puissants, créateurs et artistes (de musique, de street art) se multiplient. La basket, ou sneaker, devenue objet de désir, est partout, figure hégémonique du sportswear contemporain. D’ailleurs, si la princesse Cécile Murat avait vécu aujourd’hui, tout laisse à penser qu’elle en aurait eu une belle collection dans son luxueux vestiaire…