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Hors piste : le champion olympique Martin Fourcade monte sur les planches !

Martin Fourcade allongé sur un podium des Jeux Olympiques de Vancouver en 2020

©Pascale Cholette

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Hors-Piste
Hors Piste, un spectacle de Martin Fourcade et Matthieu Crucciani, les 9 et 10 novembre au Théâtre du Rond-Point, à Paris. Puis à Châteauroux, Lyon, Annecy, Perpigna, Aix-en-Provence, Chambéry, Colmar, Bordeaux.
J'y vais !

Il est devenu fréquent de voir de grands sportifs investir le champ culturel pour se raconter « autrement » lorsque leur carrière touche à sa fin ; à travers un livre, un film, un documentaire. Martin Fourcade, champion de biathlon et athlète français le plus médaillé de l’histoire des Jeux Olympiques, a fait le choix singulier d’un spectacle « seul en scène » au cours duquel il retrace son parcours au gré de récits intimes et de confidences sur les coulisses de son sport. Le tout dans une mise en scène sensible de Matthieu Cruciani, actuel directeur de la Comédie de Colmar (Centre dramatique national), lui-même passionné par le sport. Nous avons rencontré l’homme de théâtre pour en parler.

Quand, pour la première fois, avez-vous rencontré Martin Fourcade ?

Matthieu Cruciani : J’ai toujours suivi avec beaucoup d’intérêt les compétitions sportives, donc comme beaucoup de gens, j’ai « rencontré » Martin Fourcade derrière mon poste de télévision, à partir de 2010-2011. C’est sans doute atypique pour quelqu’un qui consacre sa vie au théâtre, mais je suis un lecteur assidu de L’Équipe depuis que j’ai 10 ans. J’aime beaucoup le football, le basket, le ski, et donc en toute logique, quand un champion de la trempe de Martin Fourcade apparaît, il m’intéresse beaucoup, et je le suis au fil des années. C’est toujours passionnant de voir un champion grandir, gagner de plus en plus de compétitions, jusqu’à atteindre un statut hors-normes, voire mythique ; et le spectateur attentif à ce type de destin peut même se sentir associé, comme embarqué dans cette histoire. 

Voilà pour la rencontre par écrans interposés. Et pour la rencontre en personne ?

MC : C’était il y a environ un an, au moment où Arnaud Meunier, le directeur de la MC2 de Grenoble, m’a proposé de porter ce projet artistiquement. Sur une idée, c’est important de le préciser très vite, qui émane de Martin. Ce désir de « seul en scène » découle d’un sentiment de frustration qu’il m’a expliqué avoir ressenti après avoir quitté la scène sportive en temps de Covid et de confinements, en livrant ses dernières performances devant des tribunes vides. Et puis il y avait chez Martin l’envie de montrer d’autres facettes de sa personnalité. Il m’a raconté s’être longtemps réfugié, comme quasiment tous les sportifs de haut niveau, sous une sorte de carapace médiatique. 

Un sportif, dès sa jeunesse, apprend à parler peu. Martin m’a parlé de ce vernis médiatique, de la peur de dire des idioties, et donc de cette parole un peu verrouillée, consensuelle. Or lui avait envie, pour dire au revoir aux gens qui l’ont accompagné et soutenu des années durant, de montrer un visage plus vrai, plus humain, plus complexe. Mais il ne l’a pas fait en sollicitant Netflix ou Canal+ pour leur proposer une série, ce qui lui aurait assuré encore plus de notoriété médiatique : non, il a choisi de le faire sur les planches, qui est le lieu où peut le mieux s’exprimer ce qu’on appelle communément « la chaleur humaine ». Et pour un nombre de dates très limitées : seize ! Ce qui est une façon claire de dire qu’il ne veut pas en faire carrière, ne veut pas partir pour une tournée sans fin. Dans cette expérience de théâtre limitée dans le temps, il est venu chercher une notion de qualité et d’authenticité. En même temps – je l’ai compris pendant les répétitions – qu’une recherche de performance à atteindre avec un jour J en ligne de mire, et l’adrénaline qui va avec. 

Ce qui veut dire que le Martin Fourcade souhaitant monter sur les planches n’a pas été dépaysé, dans sa préparation et son approche mentale, par rapport au Martin Fourcade sportif ?

MC : En le regardant répéter, j’ai eu confirmation qu’il y avait bien de fortes correspondances entre la préparation d’un spectacle et la mise en condition de sportifs avant une grande compétition. En termes de répétitions des gestes, d’endurance, mais aussi d’humilité nécessaire, ces deux expériences sont très proches. Et donc Martin, par nature, n’a rencontré aucune difficulté à monter sur le plateau pour ce travail patient, et parfois même frustrant, qui mène jusqu’à la performance maîtrisée. C’est un champion, et depuis ma position de metteur en scène, j’ai pu le mesurer à chaque instant.

Comment, dans les limites d’un plateau de théâtre, statique et intérieur, peut-on mettre en scène tout ce qui constitue le ski nordique : le mouvement permanent, la vitesse, la glisse, le ciel au-dessus de la tête, les lignes de perspective ?

MC : C’est le propre du théâtre : ce travail est à opérer dans la boite crânienne des spectateurs. L’essentiel, c’est ce qu’il faut réussir à faire naître dans le cerveau de ceux qui regardent et écoutent ce que nous leur livrons. D’où l’importance, dans mon métier, de m’entourer des bons partenaires, notamment au son et à la lumière, car ce sont ces créateurs qui vont m’aider à faire émerger un imaginaire puissant. Or c’est souvent une forme de minimalisme, à travers des évocations subtiles, qui fonctionne le mieux. Très vite, nous avons décidé de ne pas faire appel à des vidéos. Il aurait été simple de diffuser des images de ses victoires, de manière documentaire, mais nous n’avons pas fait ce choix. Par contre, étant un grand fan de radio, j’ai gardé des archives audio, que je trouve plus évocatrices que les images… 

En vérité, pour les images, je n’avais besoin de rien, car la présence de Martin raconte tout. Ce garçon, c’est un corps ! Il fait 1 mètre 85, il est fuselé, et possède du coup une « physicalité » naturelle plus forte que chez bien des acteurs professionnels. Dès la minute où il est monté sur le plateau, j’ai su que ce corps allait faciliter notre travail. Et d’autant plus que Martin, en plus d’être un athlète qui veut tout gagner lorsqu’il est dans une compétition, est également, le reste du temps, quelqu’un de profondément gentil et attentif aux autres. Un corps, donc, mais aussi un état d’esprit et des qualités humaines qu’on sent tout de suite.

Martin Fourcade debout dans un seul en scène

©PascaleCholette

A propos de son sport, le biathlon, sur quels aspects avez-vous eu envie de travailler, à la fois en termes de pédagogie – pour que même les non-initiés le comprennent – et en termes esthétiques ?

MC : Le biathlon est un sport vraiment très particulier car il fait appel à des ressources qu’on pourrait croire antagonistes. Une grande partie du sport, c’est la course, la recherche de vitesse permanente en pas de patineur, le cœur poussé à son maximum. Et ces phases d’effort extrême sont entrecoupées de moments de tir qui requièrent du calme, du relâchement, de la respiration profonde, et une concentration totale. Donc vous avez à la fois l’effort très bestial – dont il faut d’ailleurs dire qu’il constitue 90% du temps d’entrainement des biathlètes – et la recherche de calme, pour le tir, qui est quasiment de la méditation. Et c’est évidemment le passage d’un état à l’autre qui est terriblement difficile dans ce sport.

Question volontairement provocante : le sport n’est-il pas l’anti-théâtre ? Au sens où le sport serait le terrain de la vérité crue, de la défaite parfois cruelle, de la mise à nu totale, sans artifice…

MC : Je comprends votre question, mais ma réponse est : non, pas du tout ! Parce que si je vous réponds oui, cela signifiera que le théâtre ne peut pas être le lieu de la vérité. Que c’est le lieu du faux, ou du mensonge. Or, non, un acteur de théâtre ne fait pas semblant – sinon c’est un tricheur... En vérité, sur les planches comme dans un stade ou un gymnase, c’est la sincérité, la justesse à laquelle on aspire en permanence. Et souvent, cela passe par le fait de ne pas jouer. De ne pas faire semblant. Pour Hors Piste, je n’ai pas demandé à Martin de jouer son rôle, ça aurait été ridicule et un peu vain, étant admis qu’il est très difficile d’être « soi-même » dès qu’on met les pieds sur un plateau de théâtre. Donc à l’inverse, notre travail fut d’aller chercher de la sincérité, de la chaleur humaine, de la générosité, du naturel, pour que cette heure en solo sur un grand plateau, face à 1000 personnes chaque soir, donne à voir un Martin Fourcade tel que les gens ne l’ont jamais vu, mais tel qu’il est vraiment.