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Les affiches artistiques des Jeux de Paris 2024 (2/2)

Les Affiches artistiques Olympiade Culturelle exposées le long de la Seine

©Guillaume Bontemps / Ville de Paris

Elles feront bientôt partie de notre mémoire collective – et de la mémoire des Jeux ! Les 14 affiches de l’Olympiade Culturelle commandées dans le cadre de Paris 2024 mettent en lumière tout le talent des graphistes, peintres et illustrateurs qui ont répondu avec enthousiasme à l’appel à projet du Comité Olympique. Et vous, quelle sera votre affiche préférée ? (2ème partie)

Le sport, c’est d’abord une succession d’instants fugaces. L’athlète qui passe la ligne d’arrivée. Le lutteur qui fait chuter son adversaire. Le cavalier qui obtient précisément ce qu’il demande à sa monture. Instants fragiles et furtifs. Micro-secondes de grâce que guettent et redoutent à la fois les photographes travaillant au plus près des sportifs : comment être certain de déclencher au bon moment ? Comment saisir l’essence même de l’effort, de la performance, du record quand il advient ?

Les affichistes ont un autre rapport au temps. Leurs images n’ont aucune raison de se presser. Elles sont pensées pour le long terme, et s’adressent autant à leurs contemporains qu’aux générations futures. Et c’est précisément dans cet esprit – avec les notions de pérennité et d’héritage au cœur du projet – que quatorze œuvres d’art ont été commandées dans le cadre des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Quatorze affiches des Jeux, conçues par huit artistes (dont le duo Elsa & Johanna) sélectionnés par un jury d’expert comptant dix membres, puis guidés dans leur travail par un cahier des charges extrêmement précis – lire ici : la 1ère partie de cet article.

L’illustratrice et autrice de bande dessinée Fanny Michaëlis n’a certainement pas été dépaysée, elle qui est habituée à travailler dans le cadre de commandes. Elle le fait souvent pour la presse écrite, et met également à profit des moments de forte médiatisation – comme le Festival de la bande dessinée d’Angoulême, dont elle fut la Présidente du Jury en 2022, année où elle signa l’affiche de l’événement – pour déployer son univers graphique particulièrement puissant et expressif. Au centre de ses créations très colorées se trouve souvent un personnage féminin, dans une posture de vitalité assumée, revendiquée. « Le sport n’est pas un domaine qui m’est familier », nous explique l’artiste. « Mais l’imaginaire autour des Jeux, la dimension quasi-mythologique de leur histoire, de leur forme antique jusqu’aux Jeux modernes, tout ça me parlait fortement. Alors j’ai travaillé avec la puissance de cet héritage à l’esprit, mais aussi en me demandant comment les Jeux de Paris pourraient s’inscrire dans des problématiques contemporaines comme les questions environnementales, notre lien avec le vivant sous toutes ses formes, ou encore notre rapport aux technologies. »

Le résultat est saisissant : deux affiches qui célèbrent des corps féminins puissants, tendus vers la beauté d’un accomplissement physique absolu. Dans l’œuvre conçue pour les Jeux, l’eau et la danse sont le lien semblant unir, dans un même mouvement surnaturel, les personnages iconiques de Fanny Michaëlis. Dans sa seconde affiche, réalisée pour les Jeux Paralympiques, ce sont la course, l’élan, la recherche de la vélocité optimale qui donnent à l’œuvre son éclat singulier – et peu importe que les corps de ces athlètes soient « autres », qu’ils soient augmentés de prothèses ou de fauteuils : leur performance physique et mentale est totale. 

Dans les deux cas, on est frappé par le caractère très allégorique de ces représentations graphiques, une dimension presque diachronique dont la dessinatrice nous explique l’inspiration. « Quand j’étais enfant, j’ai été très marquée par les contes russes mis en image par l’illustrateur russe Ivan Bilibine, par exemple Baba Yaga ou L’Oiseau de feu. Son graphisme me fascinait, de même que sa façon de montrer le monde animal, notamment les oiseaux. » De la Russie pré-révolutionnaire de Bilibine à la France contemporaine de Michaëlis : quel autre événement que les Jeux Olympiques pourrait permettre pareil voyage visuel et symbolique ?

Les affiches de Fanny Michaëlis pour les premiers Jeux paritaires : PAris 2024

Fanny Michaëlis

L’artiste américain – né à Honolulu, à Hawaï, mais résidant au Mexique – Clotilde Jimenez a commencé son travail de recherche sur ses deux affiches de manière bien différente : contrairement à Fanny Michaëlis, il n’avait pas du tout imaginé pouvoir être sélectionné ! « Quand j’ai reçu le courrier du comité d’experts me demandant de plancher sur des affiches pour les Jeux Olympiques, j’ai d’abord cru à une plaisanterie. J’ai même montré ce courrier à des amis français en leur demandant de me traduire le contenu en anglais, et ils m’ont dit : non non, Clotilde, ça ne ressemble pas du tout à un canular, ça a l’air très sérieux. Tu devrais vraiment répondre !» 

Alors, comme tous les artistes ayant ensuite franchi les différents caps de sélection, Clotilde Jimenez a profité de cette invitation ô combien prestigieuse (et unique dans le cours d’une vie d’artiste) pour faire le point sur ses outils d’artiste et la façon dont ceux-ci façonnent son œuvre. « Je me considère comme quelqu’un qui aime se trouver à l’intersection entre plein de choses : les formes artistiques, puisque j’utilise le collage, le dessin, la peinture, le tissus, mais aussi les représentations touchant à l’ethnicité et au genre. Dans mon travail, j’essaye toujours de capturer quelque chose de notre époque. Une époque où ne regarde plus les corps, les peaux, les formes, comme il y a 30 ou 40 ans… Et justement, je me dis que le rôle d’un artiste, c’est de montrer les corps d’aujourd’hui, les identités d’aujourd’hui, pour que mes œuvres puissent en témoigner auprès des générations futures. »

Un collage célèbre la diversité pour Paris 2024

Clotilde Jimenez

Changement de registre complet, une nouvelle fois, avec les deux affiches conçues par Pierre Seinturier, dont l’esthétique délicate se construit autour de mélanges entre peinture et dessin. Cette fois, dans une différence notable avec les choix opérés par Fanny Michaelïs et de Clotilde Jimenez, notre œil de spectateur est moins attiré par la représentation des corps que par l’environnement urbain et la présence de quelques spectateurs. Rien d’étonnant lorsqu’on sait que Pierre Seinturier est sorti de l’Ecole nationale supérieure des Arts Décoratifs (c’était en 2010), où il a étudié dans le département de l’image imprimée. 

Son art repose donc sur la surimpression de multiples motifs et de matières organiques (arbres d’un parc, pierres d’un pont, ciel chargé de nuages dans le cas de son affiche pour les Jeux Olympiques ; tribunes d’un stade et sol couleur ocre pour celle consacrée aux Jeux Paralympiques). Tous ces éléments composent une sorte de grille graphique au cœur de laquelle, soulignée d’un halo de lumière, la silhouette du sportif se montre en plein effort. « L’idée pour l’affiche des JO m'est venue assez facilement : il m'a semblé plutôt amusant de créer un décalage et de dépeindre une discipline sportive sortie de son environnement et de l'inclure au sein d'une agglomération – que ce soit un décor dans Paris ou ailleurs… Celle des Jeux Paralympiques a été plus difficile à définir. Après plusieurs pistes peu concluantes, j'ai décidé de réorienter mes recherches vers un sport qui n'a pas son équivalent dans les jeux olympiques. J'ai donc choisi le goalball, un sport pratiqué par des déficients visuels, et j'ai choisi de retranscrire graphiquement l'absence de repères ressentie par ces athlètes en dépeignant un environnement sombre et diffus. »

Autre trait de caractère qui distingue son travail : un rapport à la colométrie et au mouvement (suspendu) qui évoque délicatement certains photographes américains à l’œuvre intemporelle, d’Irving Penn à Vivian Maier et Berenice Abbott. « Les personnages dépeints dans ces affiches sont comme arrêtés dans le temps : je pense que c'est une influence du cinéma et de l'arrêt sur image. J’aime tout simplement ces mouvements suspendus qui peuvent ouvrir sur différents scénarios. Que va-t-il se passer dans les dix prochaines secondes, ou dans l’heure suivante ? »

Une joggeuse et une joueuse de goalball se préparent pour Paris 2024

Pierre Seinturier

Cette recherche d’une dimension quasi-documentaire est une notion centrale dans le travail de Stéphanie Lacombe, qui utilise un autre médium, la photographie. La portraitiste, signataire des deux dernières affiches de cette riche sélection olympique, nous explique que son travail au long cours cherche à raconter « la vie ordinaire des français chez eux, à la maison, le quotidien, la vie après le travail, après toutes les occupations extérieures : il explore l'intimité familiale… Pour ces affiches, je ne me voyais ni courir derrière un ballon, ni monter sur un ring. J’ai donc pensé au moment de solitude que doit rencontrer un athlète de haut niveau dans sa préparation mentale, et également à l'instant immédiat après la compétition. »

Pas de public dans ces deux photographies, donc. Pas de juge ou d’arbitre non plus. Pas davantage d’entraineur ou d’entraineuse. L’athlète est seul face à ses doutes, le regard absent, voire au repos. Stéphanie Lacombe s’est choisie deux sujets : une jeune championne de breaking pour l’affiche consacrée aux Jeux Olympiques, et un compétiteur d’escrime pour les Jeux Paralympiques. « J'ai procédé comme je le fais toujours dans mon travail : j'ai longuement échangé avec les athlètes de ces deux disciplines. Mes questions étaient orientées sur leur pratique, leur quotidien loin du public, mais plus encore sur les raisons fondamentales du choix de la discipline – choix qui remonte souvent à l’enfance. A partir de ce corpus d'informations personnelles, j'ai très vite su que je travaillerais sur l'instant, le demi-geste… Je suis très sensible à cette notion d’ « instant décisif » : en photographie, c’est le moment précis où l'action et la composition forment un ensemble parfait. Dans le sport, tout se joue aussi sur une décision prise en quelques fractions de seconde. Si la pensée mentale est impossible à photographier, il me semblait interessant de construire une œuvre qui donne à voir les corps de sportifs de haut niveau figés dans un demi-geste, juste avant ou après une compétition. »

Des athlètes avant l'effort illustrent la préparation de Paris 2024

Stéphanie Lacombe